Quels ont été les temps forts de l'élaboration de la Constitution ?
13 mai 1958 : une émeute éclate à Alger. Création d’un Comité de salut public
La crise du 13 mai 1958 intervient dans un contexte général difficile lié à l’instabilité gouvernementale chronique de la IVe République et aux "événements" (expression qu’on préférait alors à celle de "guerre") en Algérie, certains partisans de l’Algérie française estimant qu’un coup d’État est nécessaire pour instituer un pouvoir fort. Par ailleurs, la situation financière du pays est de plus en plus critique.
À cela s’ajoute une crise de fonctionnement. En moins d’un an, deux gouvernements se sont succédé : celui du radical Maurice Bourgès-Maunoury et, à partir du 5 novembre 1957, celui du radical Félix Gaillard, renversé le 15 avril 1958, mais toujours sans successeur le 13 mai. Après avoir pressenti plusieurs candidats, le Président René Coty désigne Pierre Pflimlin, président du Mouvement républicain populaire (MRP), favorable à des négociations avec le Front de libération national (FLN - indépendantistes algériens). Sa désignation provoque la colère d’Alger, d’autant plus que le 9 mai, le FLN annonçait l’exécution de trois soldats français qu’il détenait prisonniers.
Le 13 mai 1958, Pierre Pflimlin se présente devant l’Assemblée nationale pour obtenir son investiture.
Pendant ce temps à Alger, une foule importante manifeste contre l’exécution des trois soldats français et investit le palais du Gouvernement général. Un Comité de salut public est mis en place. Il rassemble des militaires et des politiques comme Raoul Salan, chef des forces françaises en Algérie, Jacques Massu, chef de la 10e division parachutiste basée à Alger, ou Léon Delbecque, envoyé de Jacques Chaban-Delmas, ministre de la Défense, et gaulliste. Il s’agit aussi d’impressionner l’Assemblée afin d’éviter l’investiture de Pflimlin et, pour certains, de favoriser le retour au pouvoir du général de Gaulle, seul capable selon eux de garder l’Algérie française.
Mais l’Assemblée vote en faveur de Pierre Pflimlin. Le nouveau Gouvernement semble cependant dépourvu d’autorité, car l’armée et la police se révèlent peu loyales.
En s’en prenant au Gouvernement général, siège du ministre-résident, la foule d’Alger a attaqué un des symboles du pouvoir. D’une crise de fonctionnement, on passe à une crise de régime.
Le 24 mai 1958, un petit groupe de parachutistes arrive en Corse et un comité de Salut public y est aussi mis en place. L’opération "Résurrection", prévoyant un parachutage à Paris, a été programmée pour la nuit du 27 au 28 mai. La rumeur d’une opération ayant Paris pour objectif se répand. La guerre civile semble menacer.
28 mai 1958 : démission du Gouvernement de Pierre Pflimlin
Le 28 mai 1958, le président du Conseil,
Pierre Pflimlin, présente sa démission.
Le 29 mai, le président de la République, René Coty, annonce dans un message au Parlement son intention d’appeler le général de Gaulle. Celui-ci apparaît progressivement comme un recours. Retiré à Colombey-les-Deux-Églises depuis plusieurs années, il s’est déclaré le 15 mai "prêt à assumer les pouvoirs de la République" et tient une conférence de presse le 19 mai ("Est-ce que j’ai jamais attenté aux libertés publiques fondamentales ? Je les ai rétablies. Et y ai-je une seconde attenté jamais ? Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ?").
1er juin 1958 : l’Assemblée nationale accorde l’investiture au Gouvernement de Gaulle
Le 1er juin, le général de Gaulle est investi par l’Assemblée nationale comme chef de Gouvernement par 329 voix contre 224 et devient le dernier président du Conseil de la IVe République.
La composition du Gouvernement de Gaulle vise à rassurer l’opinion et la classe politique. Il comporte 23 ministres, dont 15 parlementaires et 7 hauts fonctionnaires. Les principales forces politiques de l’Assemblée, à l’exception du Parti communiste, y sont représentées par quatre ministres d’État : Guy Mollet (SFIO), Pierre Pflimlin (MRP), Louis Jacquinot (Indépendant), Félix Houphouët-Boigny (RDA, apparenté à l’UDSR). Antoine Pinay est nommé aux Finances pour rassurer l’opinion sur les questions économiques et financières. Seulement trois gaullistes sont au Gouvernement : Michel Debré, garde des Sceaux, André Malraux, ministre délégué à la présidence du Conseil, et Edmond Michelet aux Anciens combattants.
2 juin 1958 : le Gouvernement de Gaulle reçoit les pleins pouvoirs de l’Assemblée
Le 2 juin, l’Assemblée nationale vote trois lois importantes, qui seront promulguées le 3, en faveur du nouveau Gouvernement :
une loi accordant au Gouvernement les pouvoirs spéciaux en Algérie ;
une loi accordant les pleins pouvoirs législatifs pour six mois au chef du Gouvernement. Les pleins pouvoirs lui permettent de modifier la législation par des décrets dénommés "ordonnances" à l’exclusion de certaines questions comme les libertés fondamentales des citoyens ;
une loi constitutionnelle modifiant la procédure de révision de la Constitution, prévue par l’article 90 de la Constitution de 1946, jugée trop lente. Elle impose au Gouvernement des conditions de procédure, et lui confie le soin d’élaborer un avant-projet qui doit être soumis ensuite à l’avis d’un organisme créé spécialement pour l’occasion, le Comité consultatif constitutionnel. Le Gouvernement, après avoir adopté un projet définitif de Constitution, a l’obligation de le soumettre au peuple par référendum.
Par ailleurs, la loi énonce cinq principes que le Gouvernement doit mettre en œuvre dans la nouvelle Constitution :
le suffrage universel est la seule source du pouvoir ;
le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés afin que chacun assume la plénitude de ses attributions ;
le Gouvernement doit être responsable devant le Parlement ;
l’autorité judiciaire doit demeurer indépendante ;
la Constitution doit permettre d’organiser les rapports de la République avec les peuples associés.
Il s’agit, par ces conditions et ces principes, d’éviter tout rapprochement avec le vote des pleins pouvoirs par le Parlement, le 10 juillet 1940, au maréchal Pétain.
Mi-juin à mi-juillet 1958 : travaux de préparation du projet de Constitution
Les travaux de préparation de la Constitution sont un compromis entre les idées du général de Gaulle, exprimées notamment dans son discours de Bayeux du 16 juin 1946, et partagées par Michel Debré, véritable chef d’orchestre de ces travaux de préparation, et celles des parlementaires.
Ils mettent à contribution deux équipes :
un comité technique ou d’experts, composé de juristes membres du Conseil d’État et de spécialistes du droit, représentant les ministres d’État, piloté par le garde des Sceaux, Michel Debré : ce comité prépare les projets sur lesquels Matignon délibérera ensuite ;
la seconde équipe réunit à Matignon, dans le bureau du général de Gaulle, les quatre ministres d’État et deux juristes représentant le chef du Gouvernement (René Cassin et Raymond Janot). Elle a un rôle important de proposition et d’amendement des propositions du comité d’experts. Pierre Pflimlin et Guy Mollet interviennent aussi fréquemment pour obtenir des modifications du texte.
Les travaux, commencés à la mi-juin, aboutissent un mois plus tard à un avant-projet, appelé le "cahier rouge".
29 juillet-3 septembre 1958 : examen du projet de Constitution
Le 29 juillet 1958, le Comité consultatif constitutionnel est mis en place. Cette instance, prévue par la loi du 3 juin 1958, comprend 39 membres et est présidée par Paul Reynaud. Le 8 août, le général de Gaulle vient répondre aux questions des membres du Comité.
Le travail du Comité s’achève le 14 août 1958. Le Gouvernement adopte alors l’avant-projet et le transmet au Conseil d’État. Fin août, le ministre de la Justice, Michel Debré, prononce un discours devant le Conseil d'État afin de présenter et de défendre le projet.
Le 3 septembre 1958 : adoption du projet de Constitution en Conseil des ministres. C’est l’aboutissement d’un processus commencé trois mois plus tôt. Le projet de Constitution peut maintenant être présenté au peuple.
4 septembre 1958 : présentation de la Constitution à Paris, place de la République
Le général de Gaulle présente la nouvelle Constitution au peuple le 4 septembre 1958 en utilisant une mise en scène riche en symboles. Il s’agit de répondre aux accusations de bonapartisme proférées contre lui par l’extrême gauche depuis le 13 mai 1958.
Ainsi la date retenue correspond à l’anniversaire de la proclamation de la IIIe République par les députés républicains de Paris, le 4 septembre 1870.
La place de la République, dédiée à ce régime, est ornée en son centre d’un monument en son honneur, drapé pour l’occasion d’un immense V tricolore, les bas-reliefs de son socle retraçant l’histoire des luttes républicaines.
Enfin, le général de Gaulle prononce son discours du haut d’une tribune portant le sigle RF (République française), et entourée de gardes républicains en grande tenue, dont la disposition rappelle le V de la victoire de 1945 et le numéro de la future République. Son intervention est précédée d’un discours du ministre de l’Éducation nationale, Jean Berthoin, à la gloire du régime républicain, et par une allocution d’André Malraux ("Le pays sait que la Ve République apporte avec elle une chance et un espoir, alors que la IVe ne portait plus en elle qu’échecs ou abandons.")
Dans son discours,
le général de Gaulle appelle fermement à voter "
oui" à la Constitution.
28 septembre 1958 : référendum pour l’adoption de la Constitution
La campagne pour le référendum a été lancée le 4 septembre 1958 avec la présentation de la Constitution par le général de Gaulle place de la République. Les grands partis appellent à voter "oui", sauf le populiste Pierre Poujade, le Parti communiste et un nouveau regroupement, l’Union des forces démocratiques (UFD). Créé le 7 juillet 1958, ce mouvement rassemble, sous la présidence de Daniel Mayer, principalement l’aile gauche de la SFIO, qui fait scission au congrès extraordinaire de la SFIO de septembre 1958 pour constituer le parti socialiste autonome (PSA), les radicaux suivant Pierre Mendès France, une partie de l’UDSR de François Mitterrand, les chrétiens de gauche de la Jeune République, et la CFTC.
Le camp des partisans du "non" n’obtient que 17,4% des voix. La nouvelle Constitution est donc adoptée par 82,6% des voix avec une abstention faible (17,37%). Le "oui" l’emporte dans tous les départements sans exception, conférant aux institutions une très large légitimité et interdisant toute contestation. Le général de Gaulle est, par la même occasion, plébiscité par les Français.
4 octobre 1958 : promulgation de la nouvelle Constitution
La Constitution de la Ve République est promulguée le 4 octobre 1958 et publiée au Journal officiel le lendemain.
Les nouveaux organes institutionnels se mettent en place progressivement :
les élections législatives ont lieu les 23 et 30 novembre 1958 ;
l’élection du président de la République, par un collège électoral de 80 000 personnes, se déroule le 21 décembre 1958 ;
les membres du Conseil constitutionnel sont nommés le 20 février 1959 et prêtent serment devant le président de la République le 5 mars ;
les élections sénatoriales ont lieu le 26 avril 1959.
Pendant la période de mise en place des nouvelles institutions, le Gouvernement détient des pouvoirs exceptionnels et peut prendre, par ordonnances ayant force de loi, les mesures législatives nécessaires au fonctionnement des pouvoirs publics.
Essentiel
C’est dans un contexte d'instabilité gouvernementale et de blocage des institutions qu’intervient le coup de force conduit par des généraux d’Algérie, qui instituent le 13 mai 1958 à Alger un "Comité de salut public" hostile aux autorités légales. Le Gouvernement de Pierre Pflimlin, investi le même jour, ne parvient pas à affirmer son autorité face à la sédition et démissionne le 28 mai. Craignant un coup d’État, les parlementaires accordent l’investiture au général de Gaulle le 1er juin. De Gaulle obtient immédiatement le vote de la loi du 3 juin 1958 qui habilite le nouveau Gouvernement à mettre en place, sous certaines conditions, de nouvelles institutions.